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PAYS-BAS : Histoires d'eau

#1. La menace des fleuves

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Géopolitique
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Diffusée sur

La Radio Suisse Romande (RSR)

Radio France Internationale (RFI)

La Radio nationale Belge (RTBF)

Langue française

Durée : 26mn

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Le polder Overdiepse a été réaménagé pour recevoir les flots d’une inondation qui statistiquement peut avoir lieu tous les 25 ans. Il y aura trois ou quatre mètres d’eau. Je sais que l’inondation viendra. "

Stan Fleerakkers, agriculteur et éleveur sur le polder Overdiepse

C’est une belle matinée de printemps sur le polder Overdiepse, bande de terre ovale d’environ 5000 mètres sur 1500 mètres dans sa plus grande largeur, gagnée au début du XXe siècle sur les marécages comme tant d’autres terres au Pays-Bas. Ici, entre deux bras de la Meuse qui se jette quelques encablures plus loin dans le grand delta de Zélande, Stan Fleerakkers, 47 ans, possède une ferme et une maison depuis une vingtaine d’années. En 1999, Stan s’est marié avec Yvonne, fille d’un agriculteur du village voisin qui avait agrandi son exploitation vingt-trois ans plus tôt en la déplaçant sur le polder. Ensemble, ils ont repris la ferme du père d’Yvonne. Ils ont travaillé, ils l’ont agrandie, ils ont eu trois enfants – deux garçons et une fille - dont Niek, l’aîné, a 16 ans.

 

Ils sont aujourd’hui à la tête d’une exploitation de 80 ha et d’une centaine de vaches. Stan se consacre à l’élevage et à la production laitière, qui est majoritairement transformée en produits laitiers dans une usine proche, puis vendue surtout à l’international. Un sous-traitant aide Stan à cultiver ses terres plantées essentiellement d’herbe et de maïs pour nourrir les vaches, ainsi que de pommes de terre et d’oignons destinés à la vente. Stan souhaite exploiter sa ferme encore « plusieurs décennies », et espère qu’un de ses enfants reprendra l’exploitation.

Comme souvent sur les terres plates du Nord Brabant, grande province méridionale des Pays-Bas, le ciel est immense, l’horizon s’étend à perte de vue. Des champs, une ou deux haies, quatre ou cinq vaches, cinq ou six moutons, quelques fermes juchées sur des buttes, une forêt au loin. La lumière, entre jaune laiteux et bleu clair, est intense. Après avoir fait visiter sa ferme, Stan fait une pause. «  Les printemps sont secs en ce moment, cela fait plusieurs années maintenant », observe-t-il. « C’est dommage, car c’est à cette période que nous avons besoin de pluie pour faire pousser les plantes. En revanche en été, quand la récolte approche, cela fait trois ans de suite que nous subissons des orages violents qui inondent tous nos champs. C’est problématique, car les pommes de terre sont perdues si la plante reste immergée plus de 24h ».

 

Mais ces problèmes restent marginaux. La ferme est assez prospère grâce à la demande mondiale de produits laitiers. « Le lait néerlandais est de bonne qualité, il est très demandé en Europe et plus encore en Chine. Même si nous sommes dépendants des cours mondiaux du lait, avec des bonnes et des mauvaises années, à la fin nous gagnons convenablement notre vie », reconnaît Stan. Devant le hangar où les vaches passent le plus clair de leur temps, Niek et son petit frère s’amusent avec une balle de football. Tout deux ont l’air insouciants, ils ne savent pas trop quel métier ils veulent faire plus tard. « Mais je ne me vois pas reprendre la ferme pour m’occuper des vaches », précise Niek. Le réchauffement climatique est le cadet de ses soucis : « Pourquoi s’en inquiéter ? Nous vivons dans un pays riche, les Pays-Bas ne sont pas un pays de catastrophes naturelles ».

Le polder Overdiepse

Repères

Stan, sur le polder Overdiepse

Inondations

Watersnoodmuseum


Musée commémorant les inondations de 1953

Le Rijkswaterstaat
Agence gouvernementale néerlandaise de gestion des eaux

De Ramp / The Flood
Ouvrage collectif de photographies documentaires sur l’inondation de 1953 aux Pays-Bas

Les ouvrages du Plan Delta
Site de présentation

Quand on les lui rappelle pourtant, Niek se souvient des inondations de 1953. Il en a entendu parler.  Cette année-là, dans la nuit du 31 janvier au 1er février, une forte tempête en mer du Nord mêlée à des marées d’un coefficient exceptionnellement élevé, a augmenté la pression sur les digues des grandes îles polder de Zélande, ainsi que sur les rives de Hollande méridionale et du Nord Brabant. Plusieurs digues, qui n’avaient pas ou peu été entretenues depuis le début de la seconde guerre mondiale, ont cédé sur des centaines de mètres, lorsqu’elles n’ont pas été totalement submergées. En deux jours, sous l’effet de deux marées hautes, les flots ont envahi près de 2 000 km2 de terres, soit 6 % de la superficie néerlandaise d’alors. Plusieurs îles zélandaises ont été intégralement englouties. Le bilan humain fut terrible : plus de 1 800 morts, plus de 72 000 réfugiés. Plus de 40 000 têtes de bétail, bovins ou porcins, furent emportées.

A Ouwerkerk en Zélande, le Watersnoodmuseum commémore cet événement tragique. On y accède par une petite route longée d’une digue de plusieurs mètres de haut qui empêche de voir la mer du Nord : lorsque la marée est haute, la route est sous le niveau de la mer. Jaap Schoof, responsable du projet d’histoire orale du musée, raconte la catastrophe dont il a réchappé. « Je me souviens de la nuit où la tempête est arrivée. J’avais 8 ans, mes parents étaient fermiers en Zélande. Nous dormions dans la ferme, construite en surplomb des terres, comme toujours aux Pays-Bas pour se protéger du risque d’inondation. L’orage, la pluie étaient intenses. Peu à peu les flots ont envahi les champs en contrebas. Pendant 24 heures, nous avons entendu les vaches et les chevaux hurler. Puis, progressivement, ils se sont tus : tous les animaux ont été noyés. Grâce à la radio, nous avons appris qu’une digue proche de la ferme avait cédé devant la force de la marée. Le jour suivant l’eau a continué de monter, nous nous sommes alors réfugiés au dernier étage de la maison. Heureusement, des pêcheurs sont venus nous sauver. Ils nous ont fait monter dans leur embarcation et nous ont emmenés jusqu’à Dordrecht, une ville assez proche qui avait été relativement épargnée par les flots. Là, j’ai appris que ma tante et ma grand-mère avaient péri noyées dans les inondations ». 65 ans après, Jaap Schoof retient un sanglot. Dordrecht est situé à 15 kilomètres du polder Overdiepse.

Les inondations de 1953 ont été largement documentées dans une série de reportages photographiques signés Ed van der Elsken, Ed van Wijk, Ad Windig… Souvent commandés par le gouvernement néerlandais, aussi poignants que soignés sur le plan esthétique, ces reportages montrent entre autres que les secours étaient également dépêchés par hélicoptère. Pour la première fois, les possibilités techniques permettaient aux Pays-Bas d’agir rapidement face à cette nouvelle submersion. Car le raz-de-marée de 1953 n’est que la dernière occurrence d’une longue série d’inondations particulièrement meurtrières qui se sont abattues sur les rives néerlandaises depuis la nuit des temps. Une fresque du Watersnoodmuseum les énumère, cinq ou six par siècle se soldant chaque fois par au moins plusieurs dizaines de morts, et jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de morts, la plus spectaculaire d’entre elles ayant donné naissance peu avant l’an 1300 au Zuydersee, la mer intérieure qui sépare la Hollande de la Frise.

 

C’est que, avec près d’un tiers de leur superficie situé au niveau de la mer ou en-dessous, les Pays-Bas ont dû faire de la lutte contre la montée des eaux une condition vitale de leur existence. Dès 1293, ils ont inventé des assemblées locales élues, les « comités des eaux » (waterschappen), pour surveiller la menace des flots dans les villages. Puis ils ont fondé au XVIIIe siècle une « agence royale des eaux » (Rijkstwaterstaat) pour coordonner les efforts des waterschappen à l’échelle du pays. Face à ce risque permanent, même l’imaginaire a été mobilisé, créant le personnage du petit Hans Brinker, jeune garçon réputé avoir sauvé son village en bouchant un trou dans une digue avec son doigt pendant toute une nuit. Ce conte pour enfants est un des plus célèbres des Pays-Bas, où l’on trouve des statues de Hans Brinker dans plusieurs localités.

 

Après les inondations de 1953, l’Etat néerlandais a réagi avec volontarisme. Sous l’impulsion de l’ingénieur Johan van Veen, le Rijkswaterstaat a mis en œuvre un plan de gigantesques travaux pour sécuriser les côtes sud des Pays-Bas. Réalisé entre 1957 et 1986 dans les provinces de Zélande et de Hollande du Sud où trois grands fleuves européens – le Rhin, la Meuse et l’Escaut - se confondent en un grand delta pour se jeter dans la mer du Nord, ce « Plan Delta » a coûté environ 12 milliards d’euros actuels. Il a consisté en la réalisation d’un complexe d’une douzaine d’ouvrages monumentaux communiquant les uns avec les autres et ayant essentiellement pour fonction d’interdire à la mer du Nord de déborder dans les zones les plus densément peuplées du pays. Le Maeslantkering, sorte de double portique métallique susceptible de se refermer pour bloquer l’accès au port de Rotterdam, est sans doute le plus célèbre de ces ouvrages. Le Haaringvlietluizen, gigantesque écluse amovible de béton et d’acier bloquant l’accès maritime nord de la Zélande, est l’un des plus impressionnants.

 

Le Hollandsche IJsselkering, ressemblant à deux Tower Bridges londoniens qui se seraient succédés sur le fleuve IJssel à cinq kilomètres à l’Est de Rotterdam, est à la fois le plus ancien et le plus ingénieux : édifiées en 1958, ses différentes barrières se lèvent et s’abaissent pour bloquer les flots aussi bien que pour laisser passer des navires de toutes tailles ; elles sont le support d’un pont automobile aussi bien que d’une station de contrôle du trafic maritime et fluvial. « Si les flots venant de la mer s’apprêtent à entrer dans l’IJssel, nous sommes prévenus 24 heures à l’avance et pouvons abaisser totalement la barrière en une vingtaine de minutes », précise Jan van den Bogerd, technicien en charge de la circulation fluviale. Et si le fleuve venait à déborder, pourrait-on également libérer ses flots vers la mer ? « Oui, on peut aussi, mais c’est beaucoup plus long : l’ouvrage n’a pas été conçu pour cela ».

 

« Les ouvrages du Plan Delta répondaient à quatre grands principes », explique Marjan Daenen, cheffe d’équipe au Haringvlietsluizen. « Premièrement, limiter le kilométrage des côtes inondables en barrant l’accès de la mer aux estuaires. Deuxièmement, limiter la force des flots en compartimentant l’eau. Troisièmement, respecter l’ordre naturel en favorisant la circulation des animaux aquatiques et des êtres humains. Enfin, créer un effet d’apprentissage en construisant les ouvrages du plus petit au plus grand ». « Mon grand-père avait vécu les inondations de 1953 et connaissait la force des éléments », ajoute Paul Fortuin, petit-fils de Johan van Veen et conseiller climat au sein du Rijkswaterstaat. « Il ne cherchait pas à construire contre la nature, mais avec elle. Ces grands ouvrages, qui ont su préserver voire favoriser la biodiversité dans ces milieux saumâtres fragiles, ont également prouvé leur efficacité contre le changement climatique : malgré plusieurs tempêtes menaçantes ces dernières décennies, par exemple en 1991, aucune inondation maritime n’a été constatée depuis leur construction ».

Multimédia

PAYS-BAS
La menace des fleuves
Copyrights : Benjamin Bibas - Samuel Turpin / HCCS
Durée : 3mn11s
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  • HCCS - Mali - La chaleur du Sahel
Inondations

« Les inondations de 1953 ne sont pas dues au changement climatique, personne ne prétend cela  »

Dennis van Berkel, conseiller juridique de la fondation amstellodamoise Urgenda

La fondation amstellodamoise Urgenda entend œuvrer pour une « société durable » en favorisant le développement de « l’économie circulaire » et des « énergies renouvelables ». L’un des administrateurs en est Pier Vellinga, également directeur du programme Climat de l’université de Wageningen et professeur de Changement climatique à l’Université Libre (VU) d’Amsterdam. « Je suis né en 1950 », raconte-t-il. « A l’âge de 3 ans, ma famille a accueilli des réfugiés qui venaient non de Syrie, mais de Zélande à cause des terribles inondations que cette région avait subies. Il faut croire que cela m’a marqué puisque, quand j’ai été en âge d’étudier, j’ai choisi de m’orienter vers l’ingénierie côtière. Notre pays est vulnérable aux inondations, j’ai toujours pensé qu’il fallait tout faire pour les prévenir. J’ai d’abord étudié les milieux naturels, en faisant ma thèse sur la résistance des dunes de sable néerlandaises aux tempêtes intenses venues de la mer du Nord. J’ai alors découvert que ce qui compte n’est pas tant la hauteur des dunes que leur largeur, c’est en fonction de ce paramètre qu’elles peuvent résister quand le niveau d’une mer démontée s’élève de 4 ou 5 mètres. »

« Un peu plus tard, en 1983, j’ai commencé à m’intéresser aux premiers écrits sur le changement climatique. En rencontrant certaines notions, comme la fonte de la glace antarctique, je me suis rendu compte que le niveau de la mer pouvait monter jusqu’à 4 ou 5 mètres d’ici deux ou trois siècles si rien n’était fait, et j’ai tout de suite pensé aux conséquences que cela pouvait avoir pour les Pays-Bas : nos côtes sont si fragiles, les plages de sable peuvent être balayées par une simple inflexion de la force ou de la direction du vent, par une légère montée du niveau de la mer… Et en même temps, si tout cela est vrai, me suis-je dit, que de travail à venir pour les ingénieurs côtiers ! »

« En 1988, je me suis rendu à Toronto, pour une des premières conférences internationales sur le changement climatique. J’y ai rencontré le ministre néerlandais de l’Environnement, qui m’a demandé de rejoindre son cabinet. J’ai accepté et, un an plus tard, j’étais le secrétaire de la toute première conférence interministérielle sur le changement climatique, qui s’est tenue à Noordwijk, en Hollande. Une soixantaine de ministres de l’Environnement étaient présents, dont les ministres étasunien, soviétique, japonais… La conférence fut un succès : pour la première fois, des représentants gouvernementaux s’engageaient à réduire les émissions de CO2 de 20 % en 2020 par rapport au niveau de 1990, niveau qui est depuis resté la référence dans les négociations climat. Dans la foulée, j’ai participé aux premiers travaux du Groupe international d’experts sur le climat (GIEC), créé en 1988, puis j’ai co-écrit un des tout premiers articles universitaires préconisant de ne pas dépasser une augmentation de température de 2 °C par rapport aux temps pré-industriels.  Mais à partir des années 1990 les industries pétrolière, chimique et automobile ont commencé à réagir, surtout aux Etats-Unis. Des centaines de millions de dollars ont été investis pour remettre en question la recherche scientifique et influencer les décideurs. Le changement climatique est devenu un problème secondaire. Les think tank pro-pétrole avaient l’oreille des gouvernements. On s’est moqué de moi et de mes collègues, j’ai même été menacé physiquement. C’était une période dure, vraiment. Finalement en 2009, la COP15 de Copenhague a, malgré son échec, intronisé la limite ultime des 2°C. Et en 2015, grâce au soutien des Etats-Unis et de la Chine, la COP21 en France a fait adopter un agenda mondial de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), sur la base d’engagements qui auraient dû être pris dès 1992 au Sommet onusien de Rio sur l’environnement. »

« En conséquence, les émissions actuelles des Pays-Bas sont restées élevées : 9,9 tonnes de CO2 par an et par habitant en 2014, c’est moitié plus que la moyenne de l’Union européenne. Pourquoi ? Parce que dans les années 1960, nous avons découvert au large de nos côtes les réserves de gaz naturel les plus importantes d’Europe, qui s’ajoutent au pétrole de la mer du Nord. Ces réserves ont pu être exploitées par Shell, major du pétrole enregistrée à La Haye, pour développer un important complexe pétrochimique autour du port de Rotterdam qui a longtemps été le plus grand port du monde, et pour alimenter l’aéroport de Schipol en kérosène. Ce complexe pétrolier-industriel, tourné vers l’export, a fortement structuré l’économie néerlandaise de ces cinquante dernières années, d’autant que les élites économiques et politiques passaient souvent du conseil d’administration de Shell à celui du port de Rotterdam ou de l’aéroport de Schipol, avant d’être nommées au gouvernement… Autre secteur fortement émetteur de CO2, notre agriculture : pour réagir à la famine qui s’est abattue sur les Pays-Bas à la fin de la seconde guerre mondiale, elle s’est développée sur un modèle très intensif ayant particulièrement recours à la pétrochimie, modèle qui a d’ailleurs inspiré les politiques agricoles européennes. Ce qui a fait la richesse des Pays-Bas depuis la seconde moitié du XXe siècle, contribue donc également à faire de ce pays un des plus grands pollueurs du monde. Et cette situation n’est pas facile à modifier, car elle est le fait de géants industriels orientés vers le profit à court terme, qui ont des difficultés à opérer une transition vers une activité durable orientée sur le long terme ».

« Dans ce contexte, avec quelques amis dont la juriste et économiste Marjan Minnesma, nous avons jugé utile en 2007 de créer une ONG, Urgenda, non pour alerter et critiquer, mais pour proposer aux décideurs des solutions possibles face au changement climatique. L’un d’entre nous, l’avocat Roger Cox, avait été fortement impressionné par sa rencontre avec Al Gore, l’ex-vice-président étasunien auteur du documentaire Une vérité qui dérange sur l’inaction humaine face au changement climatique. Il a décidé de réunir un dossier pour déposer une plainte juridique en vue de forcer l’Etat néerlandais à agir. Le 24 juin 2015, la Cour de district de La Haye a donné raison à Urgenda, ordonnant à l’Etat néerlandais de faire le minimum auquel il s’était engagé internationalement, c’est-à-dire de réduire les émissions de GES du royaume d’au moins 25 % en 2020 par rapport à 1990 ». Ce jugement historique – c’est la première fois qu’un Etat était condamné à agir contre le changement climatique - a été confirmé par la Cour d’appel de La Haye le 9 octobre 2018. Il représente une inflexion considérable de la trajectoire d’émissions de CO2 du pays : en 2017, les émissions de GES des Pays-Bas n’ont été inférieures que de 13 % au niveau de 1990. « Ce jugement signifie concrètement la fermeture des centrales électriques néerlandaises à charbon dans un avenir très proche », précise Pier Vellinga.

Les actions du gouvernement néerlandais sont insuffisantes pour prévenir les dangers du changement climatique. Les Pays-Bas exposent sciemment leurs citoyens au danger."

Extraits de l'argumentaire Urgenda VS Etat néerlandais

Le 24 juin 2015, la Cour de district de La Haye condamne l'Etat néerlandais à mettre en oeuvre des politiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des Pays-Bas d'au moins 25% en 2020 par rapport au niveau de 1990. L'action en justice a été intentée par la fondation Urgenda, dont l'avocat Roger Cox a élaboré en cinq ans l’argumentaire suivant.


1) Ainsi que la Cour Suprême néerlandaise l’a maintes fois réaffirmé, l’Etat a le devoir de protéger son peuple et il peut être tenu juridiquement responsable s’il ne prend pas les mesures nécessaires pour prévenir d’importants préjudices à son égard 


2) L’histoire et l’état de la science montrent que le changement climatique peut avoir des conséquences catastrophiques pour les Néerlandais 


3) L’Etat a les moyens d’agir en impulsant une politique de réduction importante des émissions de GES, comme il s’y est plusieurs fois engagé en validant par exemple les 4e et 5e rapports du GIEC, ainsi que les conclusions des conférences climat internationales successives qui tracent pour les pays OCDE une trajectoire de réduction des émissions de GES de 25 % à 40 % en 2020 par rapport au niveau de 1990 


4) L’Etat a donc le devoir d’agir en conséquence


La condamnation de l'Etat néerlandais a été confirmée en appel le 9 octobre 2018.

L'expert
#1

La limite des 2 °C : une histoire néerlandaise"

Pier Vellinga, Directeur du programme Climat de l’université de Wageningen et professeur de Changement climatique à l’Université Libre (VU) d’Amsterdam.

Co-auteur de :"Le marathon de l’effet de serre, proposition pour une stratégie mondiale"

En janvier 1991, Pier Vellinga et le chercheur néerlandais Robert Swart publient dans la revue Climatic Change (Springer) un article qui fait date : « Le marathon de l’effet de serre, proposition pour une stratégie mondiale ». Reprenant des travaux de jeunesse de l’économiste étasunien William Nordhaus, lauréat du Prix Nobel d’économie 2018 pour son intégration des effets du changement climatique dans les modèles économiques, ils s’appuient également sur des travaux d’écologues des années 1980 montrant que les arbres ne peuvent s’adapter à une augmentation de température moyenne supérieure à 2 °C par siècle.

 

Ils en tirent un des premiers modèles de limitation des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, en schématisant leur pensée sous la forme d’un feu de circulation : vert pour une augmentation de température moyenne mondiale comprise entre 1° C et 1,5 °C, orange entre 1,5 °C et 2 °C, rouge au-delà de 2 °C. Cette modélisation influencera jusqu’au vocabulaire des négociations internationales postérieures sur le climat (UNFCC).
 

expert cachemire

Copyrights Léonard Pongo / NOOR

Le Haringvlitsluizen, un des ouvrages du Plan Delta visant à se protéger contre les tempêtes de la mer du Nord

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Pier Vellinga

directeur du programme Climat de l’université de Wageningen et professeur de Changement climatique à l’Université Libre (VU) d’Amsterdam.

« Aujourd’hui », poursuit Pier Vellinga, « le plus grand danger lié au changement climatique aux Pays-Bas ne vient pas tant de la mer que des fleuves. Le gouvernement s’en est rendu compte en 1995, lorsqu’une inondation fluviale totalement inattendue est survenue dans la région du Delta : il a dû ordonner l’évacuation en urgence de 200 000 personnes. Quel est le phénomène en cours ? D’une part, le débit des fleuves grossit, car les précipitations ont augmenté de 30 % en un siècle aux Pays-Bas, même si elles sont plus irrégulières qu’avant. D’autre part, le changement climatique génère une montée des océans qui pourrait atteindre à l’horizon 2100 jusqu’à 1 m selon le Rijkswaterstaat, jusqu’à 1,3 m selon l’Université d’Utrecht. De ce fait, la mer du Nord a tendance à repousser les fleuves néerlandais vers les terres, ce qui rend toute inondation fluviale potentiellement très dangereuse car alors l’eau ne se retirera pas, elle est susceptible d’envahir deux tiers de la superficie néerlandaise et de rester sur des terres très densément peuplées pendant des mois. Ce phénomène est particulièrement sensible dans la région de Rotterdam et de Dordrecht, où plusieurs fleuves viennent rencontrer la mer ».

Au début des années 2000, des agents du Rijkswaterstaat sont venus sur le polder Overdiepse pour y rencontrer les 17 fermiers qui y étaient installés. Ils avaient une nouvelle importante à leur annoncer : le polder allait devenir une zone inondable en priorité en cas de montée des eaux fluviales, afin de prévenir une inondation des villes en aval de la Meuse. Il fallait que les fermiers déménagent avec leurs familles sur d’autres terres aux Pays-Bas, ils allaient être indemnisés. Les fermiers ne se sont pas laissé faire. Ils se sont regroupés pour essayer d’aller négocier avec le gouvernement. Stan Fleerakkers est devenu un de leurs porte-paroles. « C’était un moment de solidarité », se souvient-il. « L’abattement et l’angoisse ont fait place à l’action. Plus de dix ans, avec des hauts et des bas, ont été nécessaires pour aboutir à une solution qui convienne à tous. Certains fermiers ont accepté de partir, le plus souvent pour la Frise ou la Groningue au nord du pays, là où des terres restent à exploiter. Avec Yvonne, mon épouse, nous avons tout fait pour rester ». « Je suis née tout près d’ici. Mon père, ma mère et mon oncle ont longtemps cultivé sur ce polder, j’y vis depuis 43 ans, nous avons tous nos amis ici », confirme Yvonne. « Au début, la situation a été très angoissante à gérer, mais en définitive nous nous en sommes bien sortis, nous sommes fiers du travail accompli en quinze ans ». « Finalement il reste 8 fermes à Overdiepse », reprend Stan. « Nous avons proposé au gouvernement de continuer à cultiver sur le polder. Plutôt que d’être indemnisés pour partir, nous avons demandé et obtenu en 2013 la construction de nouvelles maisons pour nos familles, ainsi que de nouveaux équipements plus modernes pour élever le bétail et cultiver la terre. Le polder a été entièrement remembré et réaménagé. Nous avons pu acquérir les terres de nos anciens voisins à prix préférentiel. Les digues ont été abaissées, mais nos maisons et nos fermes sont désormais surélevées sur des buttes de 6 mètres de hauteur, comme le pratiquaient nos ancêtres pour se protéger de la montée des eaux».

Le réaménagement du polder Overdiepse fait partie du programme « Ruimte voor de Rivier » (« De la place pour le fleuve »), conçu dès le début des années 2000 et mis en œuvre par le Rijkswaterstaat entre 2006 et 2016. Celui-ci consiste en une série de mesures – élargir le lit des fleuves, reculer les digues, élargir les berges voire creuser des plaines latérales… et même « dépolderiser » en certains endroits – pour s’assurer que les fleuves qui encerclent la conurbation du Randstad (Amsterdam – Rotterdam – La Haye – Utrecht) et ses quelque 8 millions d’habitants ne débordent pas. Mais ces efforts immenses risquent de ne pas suffire. « Le changement climatique arrive toujours par surprise, surtout sur les zones côtières, qui sont très sensibles », rappelle Pier Vellinga. « Qui aurait pu prévoir le cyclone Katrina sur la Louisiane en 2005, l’ouragan Sandy sur New York en 2012 ? Qui aurait pu imaginer que depuis 1970, la température moyenne ait augmenté de 2 °C aux Pays-Bas ? Le problème est que nous fondons nos prévisions de risques sur des statistiques historiques. Or par définition le changement climatique bouleverse ces prévisions… »

En 2005, le gouvernement néerlandais a investi 80 millions d’euros dans une étude sur la fiabilité des digues fluviales. Contre toute attente, cette étude a montré une forte vulnérabilité : plusieurs digues présentaient 10 % de chances de céder dans les vingt années suivantes. En 2008, un nouveau plan de renforcement des digues fluviales, plus important encore, a donc été élaboré. Ce « Plan Delta 2 » ou « Programme Delta », dont la mise en œuvre a débuté en 2015, concerne 1500 km de cours d’eau sur les 1700 km que comptent les Pays-Bas. Il entend résister à une augmentation de 30 % du débit des fleuves et à une montée moyenne de 1 m de leur niveau. Au moins 20 nouveaux milliards d’euros seront investis sur une trentaine d’années. Il ne s’agit pas tant d’élever les digues que de les élargir pour les rendre incassables, de créer des terre-pleins de plusieurs centaines de mètres de largeur où il sera également possible de construire des maisons, de cultiver… Au total, c’est une modification en profondeur des berges fluviales néerlandaises et de leurs paysages qui est envisagée.

Les Pays-bas développent une ingénierie de pointe, comme des fermes et des serres flottantes pour s'adapter aux inondations et à la montée des eaux

Les fleuves

Regardant le fleuve IJssel flirter avec le pied des immeubles d’une dizaine d’étages construits au bord de ses rives dans la banlieue Est de Rotterdam, Paul Fortuin médite : « Je crois que c’est une bonne chose qu’Urgenda ait gagné son procès contre le gouvernement néerlandais. Cela poussera le Rijkswaterstaat à faire encore davantage et mieux pour protéger la population ». Au loin, le ballet incessant des voitures se poursuit le long des échangeurs et des voies rapides. « Parfois, je me demande si les Néerlandais sont bien conscients des efforts consentis pour garantir leur sécurité face au risque d’inondation, s’ils sont bien conscients même que ce risque existe encore… »

Ce risque, Stan Fleerakers vit avec au quotidien. « Le polder Overdiepse a été réaménagé pour recevoir les flots d’une inondation qui statistiquement peut avoir lieu tous les 25 ans. Il faut un certain nombre de conditions : des pluies intenses qui durent des semaines en France ou en Belgique, un gros orage de vent nord-ouest en mer du Nord et la poussée de très fortes marées. Je sais d’expérience que ce jour-là, le ciel sera menaçant, lourd, noir. La visite du Rijkswaterstaat remonte au début des années 2000, nous sommes en 2018, je sais que l’inondation viendra. Lorsqu’elle viendra, je serai prévenu 48 h à l’avance. Je pense que j’aurai peur parce que cela doit être impressionnant de voir autant d’eau sur ces champs dont je m’occupe tous les jours. Mais elle ne devrait pas monter à plus de 3 ou 4 mètres au-dessus du niveau de la rivière, or ma maison et la ferme sont à 6 mètres de hauteur. Alors ma famille et moi nous serons à l’abri. Mes animaux aussi. Nos champs seront engloutis quelques temps mais un dédommagement financier  nous sera offert, et après l’inondation nous pourrons recommencer à cultiver. Ces conditions ont été d’abord été difficiles à envisager mais finalement elles me conviennent : en cas d’inondation, ce réaménagement du polder contribuera à sauver des vies, peut-être même des millions de vie, dans les zones les plus peuplées des Pays-Bas».

 

dans les mines 2
impact environnement

Sur son polder, Stan peut voir le paysage néerlandais se modifier sous l’effet du changement climatique. A ses pieds, sous les champs de maïs qui viennent d’être déchaumés, la terre est dure, fragmentée, morcelée. « Nous devons prendre davantage soin de notre terre », énonce-t-il. « Nous devons réduire notre consommation d’intrants chimiques, ne serait-ce que pour rendre la terre plus productive. J’ai remarqué que lorsque je plante du trèfle dans mes champs, l’herbe y pousse aussi bien que lorsque j’utilise des produits fertilisants. Et elle est meilleure pour mes vaches. Et leur lait sera meilleur. Et je contribue ainsi à faire baisser les émissions de CO2. » Il s’amuse : « … et donc à diminuer les risques d’inondation ! »

 

Stan tourne son regard vers l’est. A 5 ou 10 kilomètres de là, derrière la forêt, il peut apercevoir quelques éoliennes éparses qui, en 2011 puis en 2016, se sont installées près de la ville voisine de s'-Hertogenbosch (Bois-le-Duc). A l’inverse, lorsqu’il tourne son regard vers l’ouest à deux kilomètres à peine au-delà du polder, il voit fumer la cheminée de l’unité 9 – la dernière encore en activité - de la centrale électrique Amer, qui fonctionne au charbon. Inaugurée en 1952, celle-ci est située à l’entrée du parc national De Biesbosch, zone humide où se rencontrent la Meuse et la mer du Nord. L’unité 8 de la centrale s’est arrêtée en 2015, l’unité 9 « devrait fermer bientôt », croit savoir Stan, confirmant ainsi les prévisions de Pier Vellinga.

Celui-ci n’a pas non plus fini son histoire. Acteur majeur via Urgenda de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre aux Pays-Bas, il est tout aussi disert sur l’adaptation. « La stratégie d’adaptation des Pays-Bas au changement climatique ne concerne pas que le renforcement des digues fluviales », reprend-il. « Il y a aussi toute une stratégie de développement à l’international : depuis trois ou quatre ans maintenant, le gouvernement a compris que le changement climatique pouvait être un nouveau moteur de l’économie ». Il est vrai que la coopération néerlandaise en matière d’ingénierie côtière et de construction offshore n’a jamais été aussi prospère : la Dutch Water Authorities, agence publique qui fédère les compétences des waterschappen pour les vendre à l’international, vient de publier la feuille de route « Blue Deal » regroupant 40 projets impliquant le génie néerlandais de gestion des eaux dans des pays notoirement impactés par le changement climatique. « D’ailleurs, il y a une dernière chose que j’aimerais vous dire », conclut Pier Vellinga. « Dans le monde, à cause du changement climatique, il y a aujourd’hui 2 milliards d’hectares de terres salinisées, devenues impropres à l’agriculture, du fait de la montée des océans. Et ce, dans des zones très densément peuplées comme au Bengladesh, au Pakistan, au Ghana… Avec des interlocuteurs d’autres pays situés dans la moitié Nord de l’Europe et confrontés au même problème, nous avons développé un projet de recherche agronomique pour pouvoir cultiver certaines variétés de céréales et de légumes sur des terres salines. Il y a là un véritable besoin, un véritable marché à l’échelle mondiale. Je suis sûr que le savoir-faire néerlandais peut contribuer à répondre aux besoins alimentaires de pays menacés par le changement climatique et la montée des océans… »

En ces temps de faible fréquentation touristique, il ne faut pas non plus compter sur les grandes agences de tourisme qui viennent développer leur business sur ces territoires ruraux et reculés sans laisser de bénéfices dans l’économie locale. Margot souligne l’injustice qu’elle ressent : « Ce qui me peine c’est que les hébergements touristiques dans la vallée n’appartiennent pas aux habitants mais aux grandes agences de tourisme internationales ou régionales. Les bénéfices sont pour ces agences, et pas pour les locaux. Les habitants essaient d’offrir quelques services de logement ou des petits déjeuners mais c’est difficile. Car quand les touristes arrivent directement dans les grands hôtels avec leurs paquets touristiques, tout est compris, même les snacks ! Ils ne dépensent pas un centime dans le coin, les agences empochent tout. Pourtant, nous sommes ceux qui entretenons les routes et qui ouvrons les passages. Les agences touristiques, elles, ne font rien. » 

 

Cette approche purement économique des agences touristiques serait aggravée par les acteurs politiques, selon Jessica Ruth Figueroa Pinedo, docteure en Tourisme :  “Nous avons constaté, dans la chaotique gestion du Machu Picchu que les acteurs politiques considéraient le tourisme comme une source d’argent et non comme une activité qui peut contribuer au développement local. Dans la région de Cusco, la population est pauvre et a très peu accès à l’éducation et à la santé [...] Toute la panoplie symbolique créée par le développement touristique et la reconnaissance par l’UNESCO du site comme Patrimoine mondial nous aveuglent sur les préoccupants problèmes de gestion du sanctuaire et les pratiques quotidiennes développées par les activités touristiques : le commerce informel, les porteurs qui travaillent dans des conditions précaires, la pollution, les conflits sociaux et l’exclusion des populations locales qui maintiennent des niveaux de santé et d’éducation très très bas.”

 

Le district de Santa Teresa et la région de Cusco font du tourisme de masse un axe majeur de développement. Toute l’économie locale est basée sur cette ressource aléatoire. Avec l’instabilité politique du Pérou et la géopolitique mondiale vacillante, le nombre de touristes qui foulent les terres péruviennes peut chuter du jour au lendemain. Un scénario qui paraissait inconcevable jusqu’à ce que la pandémie du Covid-19 fasse basculer ce fragile équilibre basé sur le tourisme de masse. En quelques jours, les frontières ont été fermées, les bus sont restés stationnés dans les parkings des hôtels de Cusco, les touristes sont rentrés chez eux et le Machu Picchu a fermé ses portes, pour la deuxième fois depuis son ouverture aux visiteurs en 1948. La première fois fut en 2010 quand des pluies intenses ont provoqué une immense coulée de boues détruisant la voie ferrée qui reliait la citadelle à la ville de Cusco.

 

Avancer dans l’incertitude et absorber les chocs systémiques qui frappent : Margot, Grisel, Matias et toute la communauté du Salkantay apprennent à le faire. Et toujours avec le sourire et une étonnante joie de vivre.

Merci à Dennis van Berkel, Carola van den Noord, Jonathan Faydi et Léonard Pongo

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