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Interpeace-IMRAP Rapport - 2016

Analyse locale des dynamiques et de résilience dans la zone de Koro-Bankass

Plus que la pression sur les ressources – inévitable – c’est l’incapacité à assurer un arbitrage équitable de l’accès à ces ressources qui semble réellement au cœur de la conflictualité dans la zone de Mopti.

Les conclusions des analystes divergent sur l’origine de ces conflits. Si le Centre pour le dialogue humanitaire (HD) met en avant la stigmatisation de la communauté Peuhl, et « l’existence d’un projet djihadiste pensé et cohérent dans le Centre du Mali [qui] se construit et se renforce au fil du temps », International Crisis Group (ICG) ou le GRIP (Groupe d’information et de recherche sur la paix et la sécurité) considèrent une grande partie des actes de violence comme « des règlements de compte » qui sont « le fait de simples prédateurs sans agenda politique cohérent, et manipulant parfois l’argument religieux » avec une motivation toutefois plus profonde, « celle de rendre justice ».

Sans conteste, les changements sociodémographiques et climatiques accentuent la pression et la compétition autour de ces ressources. Seulement, plus que la rareté, c’est le déficit perçu d’équité dans l’arbitrage et la gouvernance de l’accès aux dites ressources et les sentiments d’injustice qui en découlent qui semblent le plus alimenter la conflictualité. Ce sentiment d’injustice et l’absence supposée de recours est généralement plus fort chez les communautés d’éleveurs, qui pensent que le système favorise, à leur détriment, les communautés sédentaires.

 

 

L’élément structurel sous-jacent semble ainsi être la question de qui est traditionnellement le chef de la terre, ou des autres ressources (eau, forêt, etc.). Le moteur des conflits serait moins la possibilité pour les uns ou les autres de mener en toute quiétude leur activité respective, mais plutôt leur capacité à infléchir en leur faveur les règles du jeu et les décisions de justice. Il y a un groupe dominant, historiquement, et les groupes plus « récemment » arrivés s’estiment exclus et n’ont que très peu de recours. Ces structures de pouvoir sont donc cruciales dans la compréhension des dynamiques locales structurant la compétition autour des ressources et les rapports entre différents villages, groupes et/ou communautés.
 

Considérer que le problème serait l’absence de l’Etat et des Forces de défense et de sécurité malienne (FDS), laissant les populations à leur propre sort et à la merci des groupes djihadistes et des bandits, est trop simpliste. La présence des FDS est souvent perçue par une partie de la population comme un facteur de préoccupation davantage qu’un gage de sécurité. Les communautés dénoncent des arrestations considérées comme arbitraires et humiliantes. Si le retour de l’État – et notamment des services de sécurité – est effectivement largement souhaité par les populations, nombre d’entre-elles ont mis sur pied des brigades de vigilance afin d’assurer leur propre sécurité – tandis que d’autres ont directement recours ou apportent leur soutien à des groupes d’auto-défense ou même aux groupes armés. Si la plupart de ces brigades de vigilance sont mises sur pied afin de se protéger dans le cadre d’un conflit avec un autre village/communauté, le recours aux groupes armés de la zone par les populations vise également l’objectif de se protéger et/ou se venger contre les FDS.

 

Pour la majorité des observateurs, l’augmentation des tensions, la rareté des opportunités économiques, et la prolifération des armes dans la zone de Mopti sont autant de causes qui encourageraient les jeunes à se projeter dans des modèles de réussite basés sur la violence et les trafics. La majorité des discours politiques et médiatiques, de même que nombre d’analyses de confits couvrant la région de Mopti, perçoivent ces jeunes armés comme des groupes terroristes structurés autour d’un projet djihadiste. Les populations elles-mêmes emploient à profusion le terme « djihadiste », semblant confirmer ces thèses. Ce discours « terroriste » ne colle cependant pas forcément à la réalité dans la zone Koro-Bankass. Une discussion approfondie avec les populations concernées a permis de mettre en lumière que l’usage du terme « djihadiste » est fait de manière presque synonyme avec celui de « bandits », la distinction entre ces deux vocables ne relevant pas d’aspect idéologique, mais plutôt géographique. En effet, le terme « bandit »se réfère à des individus armés, généralement originaires de la zone, commettant divers délits, tandis que les « djihadistes », perpétrant le même type de délits, sont généralement considérés comme étant étrangers à la zone. Si bien qu’on pourrait traduire l’expression « djihadiste » par « bandit venant de loin ».

 

Ce constat témoigne d’un décalage important entre les analyses, les discours dominants et la réalité telle que vécue sur le terrain par les populations.

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