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#1. La pêche ombilicale

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GROENLAND: Le dilemme des glaces

Niels
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Diffusée sur

La Radio Suisse Romande (RSR)

Radio France Internationale (RFI)

La Radio nationale Belge (RTBF)

 

Langue francaise

Durée : 25mn

-
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Icebergs ? Banquise ?

C’est quoi la différence ? 

Maintenant, je peux pêcher avec le bateau plus de six mois dans l’année. Il y a 15 ans, ça ne dépassait pas quatre mois "

Niels Molgaard, pêcheur à Qeqertaq

Niels appareille son bateau. Les filets de pêche, les traines avec les hameçons, les palettes qui peuvent contenir 20kgs de poissons, et le plein de carburant au dépôt qui se situe quelques centaines de mètres à l’écart du village. Dernier round, arrimer les deux POCA qui suivront dans le sillage du 7 mètres.  Le POCA est le bateau le plus utilisé par les pêcheurs côtiers groenlandais. Un bateau solide, profilé et renforcé pour affronter les glaces arctiques, avec des moteurs de 110 à 200 chevaux.

 

Arnatsiaq et Maali, ses filles, suivent dans un troisième POCA.  La brume se pose sur la pointe des icebergs depuis que le soleil a baissé légèrement le thermostat. A cette époque, de mi juin à mi septembre, il ne se couche jamais. Il est environ minuit et nous partons pour de longues heures de pêche. C’est la saison haute pour tous les pêcheurs qui font des va et viens entre la mer, l’usine, et la maison pour quelques heures de repos. Chacun est à son rythme, à son heure. Ne cherchez pas de logique. Aucune agitation apparente.

Niels a toujours chassé et pêché. Ici, à Qeqertaq. Où son père lui a tout appris de la nature arctique. Sauf en 2008-2009, où il a décidé de tenter sa chance en face de la baie, sur l’île de Disko,  lorsque la morue avait déserté les eaux de ce côté. L’expérience n’avait pas été assez concluante pour y rester. Notre langage sera la complicité. Celle qui se gagne dans le respect et dans le geste. Nous ne partageons pas de langue commune, sauf celle de l’envie de partager. Sa femme Hannie, institutrice à l’école du village, et sa fille cadette Maali seront nos interprètes.

Qeqertaq. Un village de pêcheurs situé au nord de la baie de Disko sur la côte Ouest du Groenland. Accessible une fois par semaine -chaque jeudi- quand la mer n’est pas pris par les glaces, grâce au bateau qui fait la liaison avec Ilulissat. L’hiver, c’est l’hélicoptère qu’il faut réserver. 115 habitants. 35 maisons. 8 sont abandonnées. Les longues plaintes des chiens vers 19h annoncent leur impatience de se jeter sur leur unique repas quotidien. Ils sont attachés tout l’été à quelques minutes du village, ou en liberté sur une petite île proche, en attendant l’activité hivernale. Seuls les petits de l’année déambulent dans le village, ne quittant pas les gamins qui vont du port au terrain de jeu, de la maison communale au Pilersuisoq –petit supermarché ravitaillé par containers-  pour acheter ce que la plupart des gosses dans le monde raffole. En repassant par le port pour  plonger une ligne et « se faire la main ».

Pas de route. Des sentiers et des escaliers en bois qui relient les maisons, bordés par les conduites d’eau et les gaines électriques capitonnées pour résister au froid mordant de l’hiver.  Une impression de vide greniers  laissée par les carcasses  d’électroménagers et de snowmobiles qui ne trouvent pas de recyclage. Un vrai problème qui peine à trouver solution dans tous les villages. Une école primaire qui accueillera à la rentrée prochaine 18 enfants, l’église, le Pilersuisoq –décidément incontournable- et l’usine de pêche qui arbore le sigle de la compagnie d’Etat Royal Greenland. L’usine ne transforme pas directement. Les pêcheurs amènent leur prise du jour. Les poissons sont nettoyés, vidés, emballés puis congelés dans des chambres froides à -25°C. Avec ou sans la tête qui peut être vendue à part, selon le marché de destination. Asiatique, américain ou européen. Ce sont les consignes de Royal Greenland.

 

« La pêche, c’est l’ADN des Inuits, surtout depuis que nous ne pouvons plus vraiment chasser. C’est avec la pêche que l’on gagne notre vie. En bateau l’été, au trou l’hiver en plongeant des traines sur lesquelles sont accrochés des hameçons», explique Niels. Et l’usine, c’est le cordon ombilical. « Dans tous les villages sur la côte, à l’exception des quelques postes de fonctionnaires ou les employés de Royal Greenland, les hommes sont pêcheurs. Les femmes les aident et beaucoup travaillent à l’usine. Si ce n’est pas la femme, c’est la fille ou le fils. » Une chaine logique. Mais aussi un dangereux schéma de dépendance.

Repères

Niels et Arnatsiaq recherchent les filets de pêche emportés par les icebergs qui dérivent

La fonte des glaces

L’évolution climatique actuelle en Arctique est parmi la plus rapide et la plus sévère de la planète, contribuant à des modifications physiques, écologiques, sociologiques et économiques majeures sur l'ensemble du globe

« Toute la partie que tu vois ici, il y a 20 ans, c’était de la glace de début décembre à fin mai. La mer était gelée dans le fjord et jusqu’à la baie de Disko. On se déplaçait avec les chiens et les traineaux. Maintenant, c’est gelé entre janvier et avril seulement. Et seulement côté fjord, pas vers Disko (vers la mer ouverte). La première fois que nous avons vu cela, c’était en 1994 », raconte Niels, concentré sur son cap et les échos du radar. « A part au moment dur de l’hiver, la glace est devenue trop fine», limitant les sorties en bateau, en traineaux ou en snowmobile. « C’est parfois long. Ennuyeux » confie Hanne. « Nous sommes connectés à tout par la TV satellite, l’internet et le réseau mobile, mais ce n’est pas pareil. Les Inuits avaient pour habitude de sortir sur la glace avec les chiens l’hiver, et visiter les amis et la famille. Maintenant, on hésite. Aussi, nous avons plus de neige qu’avant. Nos traineaux ne sont pas adaptés, il faudrait des patins plus larges. »

Niels et Hanne avaient une trentaine de chiens il y a 15 ans. Avant d’abandonner. La snowmobile est au final moins couteuse. Pas de risque de maladie. Moins de travail.

 

Niels récupère ses filets, tendus il y a deux jours. Les trois POCA jouent au jeu du triangle. Chacun ramène un coin du filet vers le pont principal du 7 mètres. Un piège qui se referme lentement sur les bancs de morue. Une très belle prise. Environ 10 heures de travail pour vider plus d’une tonne de poissons, et remplir les bacs qui seront débarqués à l’usine de Qeqertaq. Niels a le sourire. C’est la plus belle journée de l’été. Mais ça ne rattrape pas le début de saison et la disparition du flétan dans le périmètre.

Fin de labeur. Il est environ 3h du matin. Nous repartirons le lendemain pour écarter les icebergs qui dérivent et risquent d’entrainer ses filets. Une grosse perte d’argent potentielle pour Niels, et un risque écologique pour les fonds marins. C’est devenu courant : le réchauffement libère de plus en plus d’icebergs qui vêlent des glaciers et viennent encombrer les fjords.

 

A Uummannaq, 7 heures de bateau plus au Nord, on a attendu cette année jusqu’au mois de juin pour admirer la débâcle. On n’avait plus vu cela depuis 2004. De quoi jeter le doute sur le « réchauffement climatique ». L’image du chasseur inuit isolé sur un morceau de banquise à la dérive, contraint de quitter son village parce qu’il ne peut plus chasser ou pêcher à cause du réchauffement climatique, ne fait sourire personne ici. Elle agace. « Si de plus en plus de groenlandais quittent leur village, c’est d’abord à cause du manque de services. La loi de regroupement des municipalités qui a suivi le referendum de 2009 a supprimé nombre de services de proximité. » Economie de budget…

 

Le Groenland, sur cette partie Ouest de la côte, enregistre depuis 1951 une augmentation de 5°C en hiver, 3°C au printemps et à l'automne, et entre 0°C et 1°C en été. Les variations sont inégales d’une zone à l’autre en fonction des vents et des courants marins. Il est également difficile de mesurer l’évolution des températures en dehors des zones côtières, car l’inlandsis –qui compose 80% du de l’île- reste quasi inaccessible et demande des moyens scientifiques colossaux. Le Sud de l’île par exemple est presque totalement libéré des glaces toute l’année, permettant le développement de l’agriculture. Au Pilersuisoq, on peut donc être surpris de trouver des pommes de terre made in Greenland. Ou des fraises qui ne sont pas importées. Cela peut faire sourire. Mais soyons clairs : « les groenlandais et le gouvernement voient que la fonte des glaces présente de vraies opportunités pour eux et pour le pays », soulève Paaluk. Il s’est lancé dans une compagnie de tourisme haut de gamme, ciblant un tourisme sportif en quête de sensations et de nature avec un grand N, autour de l’île d’Uummannaq. «  Les Groenlandais connaissent parfaitement la nature arctique. Ils vivent avec depuis des siècles. Ils la respectent. Ils observent tous aujourd’hui que leur environnement –la faune, la flore- se modifie. Ils ne nient pas qu’il y a un changement. Mais pour la grande majorité, c’est un cycle de la terre comme leurs ancêtres en ont connu auparavant. Réchauffement ou pas, ils pensent qu’ils s’adapteront, comme ils ont toujours su le faire. Pour le moment, ils saisissent l’opportunité qui leur est offerte. Les Inuits sont pragmatiques. C’est comme cela qu’ils ont toujours survécu. »

 

Avec autant de dilemme et de paradoxe.

deuxième tiers monde

Motion Design

Changement Climatique
 
Le dilemme des glaces
Copyrights HCCS
Réalisation : S.Turpin
Durée : 02mn48s
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  • HCCS - Mali - La chaleur du Sahel

L'histoire rocambolesque de la base nucléaire de Thulé, enterrée dans les glaces, et d'un accident nucléaire ont marqué les mémoires collectives.

Le Groenland représente un enjeu majeur pour le Danemark, qui veut jouer un rôle dans le partage des ressources convoitées de la zone arctique.

L’engouement des grandes puissances -et dans leur sillage les grandes compagnies- pour la région s’est décuplé depuis que les effets du réchauffement climatique ne sont plus seulement que des hypothèses. Même si cet intérêt n’est pas totalement nouveau. L’île était un poste d’observation stratégique durant la guerre froide, permettant le contrôle des voies maritimes militaires et de ravitaillement, ainsi que les trajectoires des missiles longue portée. Dans de récentes publications, on découvre ainsi que les Etats-Unis avaient offert au Danemark d’acheter l’île dès 1946, pour 100 millions de dollars.

 

Copenhague avait refusé. Et doit s’en réjouir aujourd’hui.

 

Le Groenland était une colonie danoise depuis le XVIè siècle, avant de devenir une région autonome après les référendums de 1979 puis 2009. Même si quelques partis politiques surfent sur une vague populiste, une majorité de Groenlandais semblent vouloir conserver une relation privilégiée avec le Danemark, et ne pas se diriger trop rapidement vers une indépendance totale. Les Groenlandais ont largement conscience  que la moitié du budget national vient encore aujourd’hui de la contribution annuelle de 500 millions d’euros du Danemark (équivalent à 1% du budget national danois). Sans cette contribution, les services de santé ou d’éducation, par exemple, ne fonctionneraient plus. Simple philanthropie ? Assurément pas,  mais plutôt de la stratégie politique et économique sur le long terme. Le Groenland représente pour le Danemark un enjeu stratégique majeur. Son territoire lui permet en effet de siéger au Conseil de l’Arctique et de peser lourd au niveau international sur les questions de l’exploitation des ressources halieutiques, des minerais, des hydrocarbures et des nouvelles voies maritimes qui peuvent à terme être très rentables, mais aussi sur les questions militaires de défense qui mettent face à face la Russie et les Etats-Unis -avec qui le Danemark fait cause commune- dans la région.

 

L’Arctique est devenu en 20 ans un objet de spéculation. Le recul de l’Inlandsis et la fonte des glaces permettent l’accès à des ressources très convoitées. Et les autorités groenlandaises comptent bien y trouver leur compte.

D’abord les voies maritimes. La fonte des glaces libère des routes maritimes –notamment le passage du Nord-ouest- qui réduiraient de 40% le parcours entre l’Asie et l’Europe, et permettrait d’éviter les goulets d’étranglement de Suez et Panama. Ces liaisons ne sont actuellement navigables que trois à six mois par an, mais pourrait doubler dans les 30 prochaines années. En ramenant beaucoup d’argent. Mais aussi des risques de pollution indéniables.

Ensuite les hydrocarbures et les minerais. L'Arctique recèlerait le quart des ressources de pétroles et de gaz de la planète -dont plus d'un tiers se situerait au Groenland. Mêmes chiffres concernant l’uranium et les terres rares tant recherchées pour le matériel électronique de pointe et les énergies renouvelables, comme la fabrication de panneaux solaires ou les batteries de voitures électriques. La chine en possède actuellement le quasi monopole commercial, poussant l'Europe et les Etats-Unis à rechercher d'autres partenaires. « Sûrement une bonne opportunité pour créer des emplois », confirme Paaluk qui a accompagné au début de l’été des ingénieurs vers l’ancienne mine de charbon « Black Angel » près d’Uumannaq. Le site avait fermé au début des années 90, laissant un immense vide pour la main d’œuvre locale, sans possibilité de reconversion. Des compagnies chinoises pourraient à nouveau s’y intéresser. Les autorités groenlandaises –avec l’aval du tuteur danois- ont déjà accordé 5 licences d’exploitation à des grandes compagnies minières-principalement américaines et australiennes- après avoir levé l’interdiction sur l’exploitation des minerais radioactifs en 2013. Un changement de politique majeur de la part de Copenhague et Nuuk qui pratiquaient depuis 30 ans une tolérance zéro sur la question nucléaire.

Copyrights HCCS / Samuel Turpin

Humans&Climate Change Stories | Groenland | Samuel Turpin
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En fin de compte, le succès de l'adaptation dépendra de la mesure dans laquelle les activités de subsistance indispensables pour les petites communautés sont prises en compte par les autorités nationales."

Dpt of Geography, McGill University, Montreal. Climate change vulnerability and adaptation in resource dependent communities: a case study from West Greenland 

Les chasseurs et les pêcheurs avec des petits bateaux, généralement indépendants, sont particulièrement sensibles aux changements climatiques. Bien qu'ils semblent très adaptables à un climat changeant, les tendances centralisatrices imposées par le "Home Rule" ont réduit la flexibilité et la diversité dans l'utilisation des ressources qui ont traditionnellement soutenu l'adaptation, mais aussi contribué à l'émergence de conflits sur l'utilisation des ressources, avec pour résultat une prise en compte limitée des petites communautés dans le discours politique sur le changement climatique.

Ceux qui dépendent de la chasse comme moyens de subsistance sont limités dans leur capacité à générer un revenu alternatif en raison de la réglementation en vigeur, et manquent généralement de formation et de compétences linguistiques nécessaires pour prétendre à un emploi salarié. S’adapter reste coûteux et dépasse souvent la capacité financière des individus et des ménages.

Pour ces personnes, avoir un partenaire dans le couple qui gagne un salaire est important pour aider à l’équilibre financier. En fin de compte, le succès de l'adaptation dépendra de la mesure dans laquelle les activités de subsistance indispensables pour les petites communautés sont prises en compte par les autorités nationales.

L'expert
#1

Il est incompréhensible et très préoccupant que le ministre des Pêches nie la surpêche du flétan du Groenland et refuse d'abaisser le quota ou de supprimer les zones sans quota."

Kaare Winther Hansen, biologiste et coordinateur de projets pour le bureau WWF au Groenland

Les biologistes ont sonné l'alarme au cours des dernières années, constatant la diminution des prises de flétan dans la baie de Disko, qui est pourtant biologiquement riche. Les évaluations scientifiques des stocks montrent que la population de flétan du Groenland a diminué au cours des 10 à 15 dernières années et que le poisson moyen est plus petit de 10 centimètres qu'il y a dix ans.

La plus grande organisation de pêche du Groenland et l'industrie de la pêche expriment maintenant leur inquiétude. Les acteurs – pêcheurs, représentants de l'industrie des produits de la mer, des scientifiques et des représentants du gouvernement – se sont rencontrés début avril (2017) pour travailler ensemble afin de protéger les stocks de poissons côtiers menacés dans la baie de Disko. Ils ont signé un protocole d'entente visant à assurer une pêche durable aux collectivités de la côte ouest du pays.

 

Cependant, le ministre responsable des pêches refuse d'abaisser les prises autorisées jusqu'à maintenant. Il est incompréhensible et très préoccupant que le ministre des Pêches nie la surpêche du flétan du Groenland et refuse d'abaisser le quota ou de supprimer les zones sans quota. Continuer à prendre ce risque alors que nous avons déjà tellement perdu est irresponsable.

expert cachemire

Stockholm Environment Institute

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Diaporama

Découvrez Qeqertaq avec Niels

Les sorties de pêche peuvent durer 10 à 15 heures en été, durant lequel le soleil ne se couche pas. C'est la saison haute pour tous les pêcheurs qui redoutent les casses d'équipements

J’aime bien revenir ici. La vie est paisible. Je passe du temps avec ma famille. J’aime bien pêcher et chasser avec mon père. Mais c’est vrai qu’il n’y a rien. Je m’ennuie vite. J’ai hâte de retrouver mes amis. Et pas seulement à travers Facebook."

Maali, 17 ans, fille cadette de Niels et Hanne

Maali a 17 ans. Elle  repartira dans moins d’une semaine vers Aasiat pour suivre un nouveau cursus universitaire. Elle a passé les trois mois d’été à Qeqertaq, revenant de deux années d’études au Danemark. Copenhague offre des bourses à la jeune génération pour venir apprendre le danois et l’anglais, et suivre des filières qui peuvent offrir des débouchées dans la droite ligne de développement prônée par les autorités. Dès l’entrée en cycle secondaire, vers 13-14 ans, les jeunes des petits villages doivent partir en internat vers les grandes villes voisines s’ils souhaitent poursuivre leurs études. La distance pèse malgré les visites régulières.

Arnatsiaq, sa sœur ainée de 23 ans, quittera elle pour la première fois le Groenland et suivra les traces de sa sœur. « Pour apprendre à gérer une entreprise et obtenir un poste plus important dans une usine de pêche. A Qeqertaq ou ailleurs. J’aime bien vivre ici. Mais…» Mais aucune des deux n’imaginent se marier à Qeqertaq. « Avec un pêcheur, ce serait difficile. » Le Groenland vit une mutation moins visible. Celle du noyau familial. Sans réelles perspectives dans les villages, les jeunes filles sont plus envieuses de poursuivre leurs études. Avec le risque de ne pas revenir par manque d’opportunités. Un écart se creuse doucement, tirant sur l’élastique des rôles dans le couple.

 

La place de la femme dans les revenus du ménage est grandissante, permettant de diversifier positivement les sources de revenus. Un apport indéniable qui est salué autant qu’il peut mettre mal à l’aise. Coincés entre les traditions inuites, les références marquées du Danemark colonial et la culture américaine en streaming, la jeune génération plaisante à peine quand elle se dessine « dans le palais des glaces », où l’on cherche son chemin dans un labyrinthe vitré.

Pêche à la morue

Chasse au phoque. Elle est maintenant pratiquée

essentiellement comme une activité de loisir

La pêche

L'enjeu des terres rares, au coeur de l'économie du XXIe siècle, a pris une dimension géopolitique majeure. La Chine contrôle 90 % de la production mondiale. 

Les Etats-Unis, l'Europe et l'Asie-Pacifique se tournent désormais vers un des principaux eldorados en devenir clans le secteur des terres rares : le Groenland.

La fonte des glaces sur les zones côtières ouvre de nouvelles opportunités pour l'extraction minière, dont l'uranium et le pétrole. Les risques divisent l'opinion publique.

Mais ce que les observateurs n’hésitaient pas à appeler « le nouvel eldorado » il y a encore 5 ans connaît aujourd’hui un sérieux coup de frein et oblige le gouvernement groenlandais à réviser ses stratégies.

Si la population groenlandaise, dans des récents sondages, se dit plutôt favorable à un développement économique par l’exploitation de ses ressources naturelles, elle reste très méfiante sur les conséquences de la radioactivité. Le projet pilote de Kvanefjeld (2ème gisement mondial de terres rares) ne rassure pas vraiment, malgré les tentatives de communication de la compagnie Greenland Minerals and Energy. Et l’acquisition de 12,5% des parts par la compagnie chinoise Shenge au début de l’année 2017 a ajouté de l’huile sur le feu. Les groenlandais craignent maintenant une arrivée massive de la main d’œuvre chinoise.

Plus déstabilisant, trois grandes compagnies pétrolières -GDF Suez (France), Statoil (Norvège) et DONG (Danemark)- ont décidé début 2015 d’abandonner leurs licences d'exploration malgré l'offre alléchante du gouvernement groenlandais de les prolonger gratuitement. Les sociétés annoncent des résultats décevants de leurs explorations, et hésitent à se lancer dans de nouveaux investissements offshore très lourds, alors que les réserves mondiales du brut sont au plus haut, et que la demande baisse progressivement au profit des investissements vers les nouvelles énergies, guidée par une opinion publique de plus en plus sensible. Paradoxe ou ironie, le dérèglement climatique faciliterait certes l’exploitation pétrolière mais délivrerait également de plus en plus d’icebergs à taille gigantesque qui se détachent des glaciers, et qui sont autant de dangers pour les plateformes pétrolières. Après l’accident de l’Exxon-Valdez en 1989 et plus récemment la série d’incidents dans les mers de Beaufort et des Tchouktches  en Alaska, les grandes compagnies sont soumises à des normes de sécurité qu’elles ont du mal à garantir pour le stockage et le convoyage du brut.

Le Groenland se trouverait donc à la croisée des chemins : la potentialité d’une indépendance économique –et à terme politique- vis-à-vis du Danemark grâce à l’exploitation de ses ressources naturelles devenues accessibles par le réchauffement climatique VS  les  risques environnementaux que cela implique. Sans compter la confusion que cela pourrait susciter pour son image de « victime » du changement climatique véhiculée et entretenue auprès de l’opinion internationale. Au final, l’indépendance que le Groenland gagnerait face à  Copenhague pourrait également le rendre dépendant des grandes puissances qui s’affrontent dans la géopolitique du pôle et des grandes multinationales qui lorgnent sur ses ressources. Comment ce jeune Etat en pleine construction résisterait ?

 

Dans ce contexte, les autorités misent alors sur ses jokers : d’abord son potentiel touristique, en jouant la carte de la Grande Nature et la découverte des activités nordiques. Ilulissat se prépare. Les hôtels et les guesthouses lèvent le doigt et les agences de tourisme affichent leur circuit. Des nouveaux cursus de formation sont proposés pour les groenlandais. Et des projets pharaoniques d’extension de l’aéroport et de « maison du tourisme » font controverse. A Uummannaq, joyau de la baie de Disko, un comité tente également de réfléchir à un développement touristique raisonnable qui peut d’abord profiter aux locaux. Depuis la suppression de la ligne de bateau qui la reliait au hub d’Ilulissat, la petite ville de 1500 habitants perchée sur une île subit une perte sèche, obligeant les visiteurs à emprunter l’avion et l’hélicoptère. L’hôtel, qui faisait de l’île une ville étape, a fermé ses portes en 2004. Paaluk imaginerait bien « relancer l’affaire. »

Mais surtout, Nuuk compte sur le secteur de la pêche.

dans les mines 2
impact environnement

Si les ressources halieutiques ont tendance à diminuer à cause d'une pêche intensive, de nouvelles espèces de poissons à la recherche d'eau plus froide pourraient se réfugier  dans les mers de Barents ou de Bering. Cette augmentation profiterait en priorité aux pêcheries commerciales et non à la pêche de subsistance.

Le secteur halieutique représente 90% des exportations du Groenland, et 25% du PIB à lui seul. Un mastodonte qui repose principalement sur la crevette, le flétan, la morue, le crabe plus localement, et les œufs de lump une fois par année. 88% de la production est destinée à l’export, principalement vers les Etats-Unis, le marché asiatique, la Russie et l’Europe. 300 chalutiers de taille moyenne et 25 de grande taille –sous pavillon norvégien, chinois et  groenlandais- sont autorisés à pêcher en eaux profondes. 3500 emplois à la clé. 12% des actifs. Mais surtout le secteur est la principale activité de subsistance pour tous les villages de la côte Ouest. 5000 petites embarcations individuelles sont enregistrées pour la pêche côtière, qui participent à 15% de la production totale.

Sans y voir uniquement de la démagogie et des calculs électoralistes- les gouvernements qui se sont succédés sont soucieux de protéger les « petits pêcheurs ». Une équation subtile entre le pur besoin économique et l’attachement des Inuits à la Nature et aux traditions. La compagnie étatique –et historique- Royal Greenland partage le marché de la pêche avec des compagnies privées qui jouent la concurrence, dont Polar Seafood. Les compagnies ont installé dans chaque village des petites usines et entrepôts qui permettent de packager le poisson et de le conserver jusqu’à la prochaine rotation du cargo qui chargera les containers.

« Ces dernières années, comme je t’ai dit, nous pêchons de plus en plus tard dans la saison. Mais à la transition été-hiver, lorsque les glaces se forment, le cargo ne peut plus venir jusqu’ici. L’entrepôt se remplit rapidement et nous ne savons plus où mettre notre pêche », poursuit Niels. Dans certains villages, près d’Uummannaq, les pêcheurs racontent qu’ils transportent l’hiver jusqu’à une tonne sur leurs traineaux pour désengorger leurs points de stockage et rejoindre les gros entrepôts de la ville. Avec le risque de voir la glace devenue trop fine céder sous le poids. Royal Greenland et polar Seafood ont annoncé l’agrandissement ou l’implantation de nouvelles usines dans beaucoup de localités. Signe que le secteur se porte bien du point de vue des compagnies, et qu’on y voit de belles perspectives. Avec la bénédiction des autorités.

 

« L’année dernière était une année exceptionnelle pour le Hallibut – le flétan. Nous avons pêché toute la saison», indique Niels. Et plus encore. Les autorités ont levé les quotas atteints dès le mois d’août, autorisant la pêche jusqu’au début des glaces sans restrictions. Royal Greenland affiche un chiffre d’affaire record de 7,1 milliards de DKK (954 millions d’euros) pour l’année 2016. Niels poursuit : « Mais cette année, au moins jusqu’à aujourd’hui, c’est catastrophique. Il n’y a pas de poisson. On voit seulement un peu de Cod -la morue- qui revient », après avoir été pêchée de manière intensive à plusieurs périodes au cours des trois derniers siècles. A l’usine de Qeqertaq, Arnatsiaq ne travaille que 3 demi-journées par semaine depuis le début de la saison. Les bacs à poisson sont vides. Niels fait la moue. La morue est achetée seulement 6DKK (0,8 euros) le kilogramme par Royal Greenland. Trois fois moins que le flétan. Un énorme manque à gagner pour les pêcheurs qui doivent faire face à des frais de plus en plus élevés. « C’est vrai que nous pouvons maintenant pêcher plus de la moitié de l’année avec les bateaux. Mais nous devons aussi aller de plus en plus loin, car le poisson change ses routes. Cela nous oblige à acheter des bateaux plus gros, avec des moteurs plus puissants. Et donc à nous endetter».

Niels Morch, mécanicien de bateau à Uummannaq, confirme : « Il y a 5 ans, les moteurs ne dépassaient pas 100 CH. Aujourd’hui c’est le double. Beaucoup ont acheté des POCA neufs, plus gros, pour aller plus loin et ramener plus de tonnage ». Royal Greenland et le gouvernement offrent même des prêts à taux exceptionnels pour que les pêcheurs modernisent leur matériel.

L’intention est claire. Dans ce contexte flou, le secteur pêche est aujourd’hui prioritaire. Une valeur refuge. Avec le risque d’encourager une forme de pêche intensive –comme cela fut le cas avec la morue.

Niels et les autres pêcheurs sont unanimes : « les poissons que l’on prend aujourd’hui sont bien plus petits qu’il y a 10 ou 15 ans. Nous les pêchons alors qu’ils n’ont pas encore atteints leur taille maximale. Ils sont jeunes. » L’impact du changement climatique sur les ressources halieutiques n’est pas encore complètement connu. Le réchauffement et l’acidité des océans pousseraient de nouvelles espèces de l’Atlantique nord vers les zones arctiques, notamment le maquereau, et modifieraient la période de reproduction. On ignore encore comment les espèces pourraient interagir. Les études révèlent que l’océan se serait réchauffé de 2 °C depuis 1997 dans la baie de Disko. La fonte accélérée des glaciers introduit une quantité d’eau douce importante, modifiant également les zones de transition eaux chaudes-eaux froides. L’une des clés réside évidemment dans le cycle de la chaine alimentaire et la nourriture que recherchent ces espèces, comme le plancton et le capelan. Les études révèlent également une pollution aux métaux lourds qui se transmet dans toute la chaine alimentaire. Impossible de poser des certitudes. Si les autorités misent clairement sur un développement du secteur et une abondance des ressources halieutiques dans les eaux arctiques, l’avenir reste largement incertain du point de vue scientifique qui mesure encore les capacités de résilience des espèces.

La question se pose ainsi : que se passerait-il pour les pêcheurs côtiers si le poisson venait à manquer ? La plupart  ne résisteraient probablement pas à deux ou trois « mauvaises années ».

Le Greenland Institute of Natural Resources qui travaille avec le gouvernement groenlandais sur la détermination des quotas et des zones de pêche constate un recul progressif du flétan depuis 2010. Fin août (2017), il rappelait au Ministère ces recommandations fixées à 6400 tonnes.

Le Ministère n’a toujours pas pris de mesures.

Textes et photographies : Samuel Turpin

Relecture : Catherine McKenzie

Des initiatives pour faciliter l'adaptation et la résilience des populations arctiques

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